« Une Mère Arnaquée » par Anne Tronel

Extrait du Recueil de Nouvelles « Métanoïa » écrit par Anne Tronel, adhérente d’Art Dies, et publiée en 2021

Une mère, c’est « chiant » parfois, ça vous colle aux basques, ça pleure alors que l’on aimerait l’entendre rire… Et puis, j’en conviens, c’est fait pour être solide – non pas comme les paquets de la poste sur lesquels il y a écrit « Fragile », que l’on balance au fond du camion, on n’en veut pas.
Nous, les mères, sommes des équilibristes : nous devons doser entre l’amour qui enchaîne et se déchaîne pour nos enfants, l’amour qui attache et attaque leur intégrité et l’amour confiant, déposé jour après jour dans leurs cœurs, déversé comme l’eau qui coule.

Je suis en formation « Initiation au détachement pour mère triste niveau 1, passage probatoire au niveau 2 ». Méthode pédagogique : la communication violente.

Aujourd’hui, à bientôt 60 ans, je ne me lasse pas de l’époque où ils étaient petits ; ce sont mes plus beaux souvenirs. J’aime me rouler dans la fange de la nostalgie, je m’y enfonce, je m’en délecte, je pleure devant les films de leur enfance, c’est bon et dégoûtant à la fois. Un vrai petit cochon.
J’ai quatre fils, que j’ai arrosés délicatement, sans penser que ce geste mènerait forcément à ma perte. Ils ont poussé, donné des bourgeons, fleurissent, sont pleins de vitalité et n’ont plus besoin de moi.
Mes enfants sont partis. C’est, paraît-il, la loi de la nature, le cycle de la vie, la preuve que l’on a fait du bon job ! Mais non ! Moi, je ne le veux pas ! Je veux qu’ils restent à mes côtés, tous en rang, et qu’ils fassent machine arrière ! On rentre au bercail dans le ventre de maman ! Et, comme cela, on peut recommencer l’histoire à zéro. Vous comprenez ?

Il paraît que cela ne marche pas comme ça.
Alors j’ai failli mourir, comme Chloé dans L’Écume des jours. À mon tour, je me suis flétrie, n’ayant plus de raisons de briller. Pour qui ? Pour quoi ? J’errais à l’intérieur de moi-même, tournais en rond, j’effeuillais mes pétales ; je t’aime un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout. Ils ne m’aimaient plus du tout, à grands coups de ciseaux qui me poursuivaient la nuit dans mes cauchemars pour couper le cordon.

Pour faire face à cette dure réalité, il m’a fallu entamer cette formation qui vous fait revivre les pires moments de votre maternité.
J1 du premier niveau de la formation, le formateur me demande :
– Êtes-vous prête à affronter tous vos souvenirs ?
– Oui, je crois.
– Chère madame, vous souvenez-vous des nuits blanches que vous avez passées habillée en costume de zombie, téléguidée par leurs pleurs ?
– Oui, je me souviens très bien.
Il poursuit :
– Vous aviez le sentiment de vous noyer dans une mer de gestes répétitifs et incertains, dans des sables mouvants, dès le matin, un pas après l’autre. Vous vous enfonciez un peu plus chaque jour dans l’amour inopérant. Ils s’agrippaient à votre chemise de nuit, poussaient des petits cris d’animaux. Des vagues d’émotions vous envahissaient les unes après les autres et vous ne pouviez pas reprendre votre respiration. Seules la sieste ou la télévision vous sauvaient des eaux, du tsunami journalier. Et alors, chère madame, bien entendu, vous ne voudriez plus jamais revivre tout cela, n’est-ce pas ?
Eh bien, je me suis entendue lui répondre :
– Je veux bien recommencer. 

Je suis foutue, je n’arrive pas à me débarrasser de ma vie de mère envahie et envahissante.
J’ai écouté tous les conseils, consulté de nombreux psychologues, me suis endormie auprès de plusieurs hypnotiseurs. Il paraît que cela ne se fait pas, il est de bon ton de laisser ses enfants grandir, devenir des adultes responsables et heureux, qui feront à leur tour leur devoir de parents pour poursuivre un grand projet universel de reproduction et peupler cette terre d’adultes heureux et responsables.

Au secours ! Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de maternité ? La plus grande arnaque du siècle ! Je les ai nourris, j’ai essuyé leurs pleurs et leurs fesses pendant des années et hop ! à l’adolescence, ils vont rejoindre Cunégonde comme si de rien n’était ! Vous rendez-vous compte ? La blague ! C’est une blague ! J’ai couru, je les ai poursuivis de l’argent à la main, prête à acheter du temps partagé avec eux. Un voyage, une moto… revenez, je suis là ! C’est fini, il n’y a plus rien entre eux et moi. Une terre de désolation, Israël, la Palestine, le mur des Lamentations.
Patatras ! tout s’effondre.

J’ai compris, mauvaise formation, mauvais coach, j’abandonne, je repars de zéro.
Quelle méthode choisir pour guérir de cette maladie de mère désespérée ? Partir au bout du monde, visiter les îles Sanguinaires, aller voir les baleines en Alaska, le Machu Picchu, le Taj Mahal, les Sept Merveilles du monde ? Rien, absolument rien ne m’a jamais comblée comme eux l’on fait.
J’ai cherché longtemps. J’ai travaillé dans le social, me suis occupée d’autres cas beaucoup plus désespérés que moi. Rien n’y a fait.

Alors, j’ai pris ma plus belle plume pour coucher cette expérience transcendantale. Ainsi, je ne les quitte plus puisque je ne fais que parler d’eux dans mes livres. Me voilà écrivain sans grand succès. Je me sens beaucoup mieux, presque guérie.
Mon premier ouvrage est paru à compte d’auteur l’année dernière : Vos enfants sont partis ? Comment ne pas mourir en dix leçons. Bon, le titre n’était peut-être pas très accrocheur, je n’ai pas eu beaucoup de lecteurs. Le deuxième ouvrage est en préparation : Y a-t-il une vie après le départ de vos enfants ? C’est mieux, non ? Voilà, cher éditeur. Merci d’avoir lu l’introduction.

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